Nextep : Qu’est-ce qui vous a incité à travailler sur la logique de parcours de soins ?
Axelle AYAD N’CIRI : Le fait que je sois une usagère du système de soins. J’ai été diagnostiquée d’une endométriose il y a 9 ans et dès le début j’ai eu un parcours très compliqué car, à l’époque, c’était une pathologie encore peu connue. Les médecins ont d’abord cru que j’avais une appendicite, donc je suis passée par les urgences pour finalement atterrir chez le gastroentérologue qui n’a pas été en mesure de me poser de diagnostic ni m’orienter vers un autre spécialiste. Lorsque j’ai dû partir en Chine, j’ai été confrontée à une autre réalité des ruptures du parcours de soins. Contrainte de revenir en France, on m’a alors découvert plusieurs autres pathologies et j’en compte aujourd’hui six, plus ou moins imbriquées : endométriose, trouble de la fertilité, hypothyroïdie, migraine avec aura… Si elles se retrouvent dans le même champ, elles demandent à voir des spécialistes différents. J’ai alors constaté qu’en étant atteint de pluri-pathologies, la vie est vite un enfer.
En parallèle, j’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique et je me suis rendue compte que l’on identifiait les spécialistes en fonction de leurs pathologies d’expertise pour pouvoir expliquer les traitements aux bonnes personnes. Malheureusement, ces informations clés ne sont pas accessibles aux patients.
Forte de ce constat, j’ai repris mes études et lancé Mapatho. J’ai contacté d’abord quelques associations de patients, qui elles aussi ont accès à des données, et cette phase m’a également permis de préciser les besoins auxquels répondre en priorité. La démarche a été très bien accueillie car elles essayaient elles-mêmes de trouver des spécialistes pour leurs patients. Après concertations avec l’Ordre des Médecins et le Ministère de la Santé, Mapatho a été en mesure de récupérer certaines données auprès des patients des associations. Par la suite, nous avons vu que cela pouvait également intéresser d’autres acteurs, notamment les infirmières coordinatrices, et c’est pourquoi nous avons développé Mapatho Pro.
Aujourd’hui, nos informations sont destinées à trois types de personnes :
- Au grand public, en accès libre, avec un annuaire de médecins référencés pour une pathologie concernée, en fonction de la localisation
- Aux adhérents de complémentaires partenaires, pour lesquels nous avons développé un outil deeptech avec de l’IA et du machine learning afin de créer un parcours de soins personnalisé. Un algorithme est utilisé et permet notamment d’intégrer les recommandations de la HAS. Il permet ainsi, en fonction de la maladie et de la localisation, de donner le parcours de soins idéal et indiquer les personnes à contacter.
- Aux soignants, avec un accès gratuit pour faciliter la coordination entre eux et l’adressage de patients.
Nextep : Si les pathologies chroniques répondent davantage à la logique de parcours, y en a-t-il sur lesquelles il y a moins de besoins et d’autres où cela s’avère particulièrement nécessaire ?
Axelle AYAD N’CIRI : Les pathologies chroniques sont effectivement au premier plan et il y en déjà plus de 250. Mais nous avons aussi été sollicités pour d’autres maladies, telle que l’hyperémèse gravidique, qui survient uniquement pendant la grossesse. Il existe en effet une vraie errance avec des histoires parfois dramatiques, beaucoup de femmes se retrouvant en suivi psychiatrique car elles ne tombent pas sur les bons accompagnements et pensent qu’elles font à un rejet de l’enfant. Ainsi, nous organisons des lives deux fois par semaine avec des associations pour expliquer cette pathologie et faire de la pédagogie et de la prévention.
Dans le diabète, il existe par contre déjà beaucoup de choses. Pour autant, nous avons vu qu’il y avait encore des besoins, comme d’identifier certains spécialistes familiers avec la maladie, par exemple des podologues en cas d’ulcère veineux. Les cancers font également partie de ces pathologies bien prises en charge. L’identification d’un oncologue n’est pas forcément utile car l’orientation se fait généralement bien à partir après le dépistage. En revanche, il y a là aussi des aspects dans lesquelles nous pouvons faire davantage : les accès à l’assistance psychologique, des socio-esthéticiennes, des kinésithérapeutes ou même des ostéopathes, qui ne sont pas forcément présenté au départ au patient et intégré dans son parcours.
Enfin, certaines pathologies font face à une énorme errance. La fibromyalgie est une pathologie pour laquelle Mapatho a été très sollicitée car il n’y ni traitement, ni reconnaissance de la maladie et même beaucoup de sceptiques par rapport à la réalité de l’affection. Il est donc clé que pour les personnes atteintes de cette pathologie d’identifier un médecin qui sera à même de les prendre en charge. De même, si on parle davantage d’endométriose, seuls 5% des gynécologues sont aujourd’hui identifiés sur cette maladie. Pour les maladies de peau, il devient de plus en plus compliqué de trouver un dermatologue positionné sur le suivi des pathologies chroniques.
« Force est de constater qu’il y a énormément d’attentes et de partage sur ces sujets
Nextep : Avez-vous des solutions pour des gens qui ne savent pas ce qu’ils ont ? Avez-vous envisagé un outil pour les orienter vers des professionnels qui pourraient les diagnostiquer ?
Axelle AYAD N’CIRI : Nous nous sommes effectivement posé la question d’ajouter des outils d’autodiagnostic et avons même rencontré des partenaires en ce sens. Mais, à ce stade, nous n’avons pas encore développé d’outil suffisamment sérieux pour pouvoir être proposé.
Par contre, nous avons constaté un usage de Mapatho, qui n’avait pas été pensé au départ, pour des personnes qui ont une suspicion de maladie, en fonction de certains symptômes et parce qu’elles en ont entendu parler, sur les réseaux ou par une campagne de prévention. En faisant la recherche comme si elles avaient cette pathologie, elles peuvent ainsi lever leurs doutes et, dans le cas d’une confirmation, accélérer leur prise en charge.
Cela montre que la prévention est extrêmement importante car si les personnes savaient mieux détecter leurs symptômes et les lire, elles pourraient être mieux orientées et savoir à quel moment consulter. D’ailleurs, toutes nos campagnes sur les réseaux y sont liées : des « lives » bimensuels, des communications visuelles et pédagogiques avec des emojis qui reproduisent les différents symptômes… Et force est de constater qu’il y a énormément d’attentes et de partage sur ces sujets ; ce qui permet à d’autres personnes qui souffrent des mêmes symptômes de comparer et de commencer à mettre des mots sur leur affection.
« L’entrée dans le parcours n’est pas toujours l’étape la plus compliquée »
Cela dit, l’entrée dans le parcours n’est pas toujours l’étape la plus compliquée. Quand ils ont connu des années d’errance diagnostique, les patients pensent que le plus dur est passé avec l’identification de ce qu’ils ont, alors que malheureusement, il reste souvent beaucoup d’autres ruptures, notamment dans l’identification des bonnes personnes qui vont pouvoir les accompagner. Nous avons d’ailleurs lancé un protocole de recherche sur ce sujet car aucune étude ne traite aujourd’hui de manière globale de l’errance des malades post-diagnostic. Elles sont souvent centrées sur le temps de diagnostic : par exemple, pour l’endométriose on sait qu’il faut en moyenne 7 ans pour poser un diagnostic mais après on ne mesure pas la difficulté des personnes à avoir un suivi continu et sans décrochage. Le protocole que nous avons mis en place nous permettra d’identifier les différentes ruptures pour modéliser les parcours de soins atypiques et comment remettre la personne dans le bon sens.
Nextep : Y a-t-il d’autres sujets sur lesquels vous auriez pu vouloir intervenir, des projets pour l’avenir ?
Axelle AYAD N’CIRI : Nous allons surtout rester sur l’identification des parcours et des soignants clés par pathologie. Mais notre objectif est d’aller à l’international car nous avons reçu de nombreuses sollicitations de personnes habitant à l’étranger (Belgique, Suisse, Luxembourg, Singapour, Algérie, Canada…). Notre objectif est de lancer d’abord en Europe puis en Afrique francophone, où il existe de grosses problématiques d’identification de spécialistes, qui engendrent des conséquences délétères sur la santé des patients et de fortes inégalités dans l’accès aux soins.
Nous souhaitons par ailleurs développer la plateforme professionnelle, notamment sur la possibilité d’identifier immédiatement l’ensemble des experts compétents en fonction d’une pathologie qui représente une très grosse demande. Nous réfléchissons également à mettre à disposition des professionnels les commentaires anonymisés des utilisateurs, afin qu’ils puissent avoir connaissance de leurs retours et impressions quant à la façon dont ils ont été pris en charge.
Nous avons également un projet avec une association de patients pour mettre en place un chatbox qui permettrait de faire remonter des questions types par des patients qui viennent d’être diagnostiqués.
« L’effet de la crise a été dévastateur en termes de suivi et prise en charge des malades chroniques et les conséquences vont être visibles sur plusieurs années »
Nextep : Est-ce que vous avez pu mesurer des effets de la crise, notamment à travers l’utilisation de votre site ?
Axelle AYAD N’CIRI : J’ai rédigé une note pour Terra Nova sur ce sujet, centrée sur les malades chroniques, qui montrait que la crise sanitaire a été une vraie difficulté pour eux. Du jour au lendemain ils n’avaient plus accès à l’hôpital ; les services de SAMU et les médecins en général n’étaient plus disponibles. De notre côté, à la demande d’associations, nous avons contacté l’ensemble des experts de notre base pour leur demander s’ils étaient disponibles en consultation et s’ils prenaient des nouveaux patients car il y avait des besoins en urgence. Beaucoup de patients ont sauté le pas de la téléconsultation, qui a constitué une vraie aide, mais d’autres ont fini par renoncer aux soins. En tout cas, l’effet de la crise a été dévastateur en termes de suivi et prise en charge et les conséquences vont être visibles sur plusieurs années.
Côté grand public en revanche, tout le monde a porté davantage d’intérêt à sa santé et au système ; ce qui est une bonne chose, sur laquelle il sera important de capitaliser.
« Il faut aussi que les patients s’emparent du sujet »
Nextep : Quel est votre avis sur la place du patient aujourd’hui dans le système de santé ? Est-il selon vous suffisamment reconnu, impliqué, (in)formé, responsabilisé ?
Axelle AYAD N’CIRI : Alors que je suis moi-même patiente et également représentante de patients parmi les plus connectées et les plus actives, je ne me sens déjà pas suffisamment écoutée. C’est un point que je mets particulièrement en avant lors d’interventions auprès d’étudiants destinés à intégrer le système de santé.
Cela se traduit sur différents plans. Quand je contacte des entreprises pour qu’elles évoquent ce qu’elles font dans ce domaine, je me retrouve souvent face à un « no man’s land ». Idem au niveau des autorités. Actuellement, je représente une association auprès dans le cadre d’une consultation menée par une agence publique, pour laquelle j’ai vraiment l’impression de ne pas avoir beaucoup de poids dans les décisions ou les discussions. De manière générale, le milieu médical est très centré sur le médecin et cela commence avec le jargon employé, qui est compliqué et qui installe des barrières vis-à-vis du patient si aucun effort n’est fait.
Il est étonnant de constater que le système de soins n’est pas forcément vu comme un service de santé et qu’à ce titre il est important de mesurer la satisfaction et les retours du patient, qui en est le destinataire.
Même s’il y a une mouvance vers une « patient centricity », avec de très belles initiatives, aujourd’hui, le patient n’est clairement pas au centre du système ; il y est juste inclus. Par exemple, on voit actuellement le développement de nombreuses applications au service des médecins, mais beaucoup moins au service des patients. Les plateformes de santé leur sont souvent très peu accessibles et rarement pensées pour eux. Il y a encore beaucoup à faire. Cela dit, il faut aussi que les patients s’emparent du sujet.
Propos recueillis par Camille Duquesne et Guillaume Sublet