Nextep : La question de la localisation de la production pharmaceutique a suscité de nombreux débats ; quelles sont les intentions du Gouvernement en matière d’attractivité pour les industries de santé ?
Agnès Pannier-Runacher : Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a fait de la compétitivité des sites industriels français une priorité. Nous avons réduit la taxation de ceux qui investissent dans les entreprises et mis en œuvre une baisse de l’impôt sur les sociétés pour rejoindre la moyenne européenne. Nous avons également donné plus de flexibilité à notre droit du travail, regardé par nos voisins comme particulièrement rigide, et mobilisé 15 milliards d’euros pour investir massivement dans la formation continue. Et nous avons eu des résultats : nous avons pour la première fois depuis 2000 recréé de l’emploi industriel et nous sommes devenus, en 2018 et 2019, la première destination pour les investissements directs étrangers dans l’industrie et dans la R&D en Europe.
Pour le secteur de la santé, le Président de la République a mis en place un Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Ce conseil, réunissant les dirigeants des principales entreprises mondiales du médicament, a formulé en juillet 2018 un ambitieux plan d’actions pour la filière comportant 48 mesures élaborées en concertation avec les parties prenantes. Il prévoit un volet de simplification qui vise à réduire les délais administratifs (essais cliniques, AMM, fixation des prix, etc.) et à améliorer l’accès au marché, l’évaluation du médicament, ainsi que diverses simplifications de réglementations de taxes spécifiques aux secteurs. Parallèlement nous travaillons à transformer notre appareil productif. Le numérique dans la santé est ainsi une priorité du Comité stratégique de filière (CSF) et nous avons lancé la création d’un « Health data Hub ». D’autres priorités de production et de développement sont également portées par le CSF (bioproduction, anti-biorésistance, etc.) qui a vocation à fédérer les énergies et à structurer l’action au sein de la filière. Plus de 80 % des mesures sont réalisées à ce jour, mais nous ne relâchons pas nos efforts : il faut aller jusqu’au bout de ces mesures, notamment en matière de prix du médicament.
Les aides à la R&D sont essentielles. Avec la crise que nous traversons, la tentation – dans le privé comme dans le public – pourrait être de diminuer ces investissements pour protéger la trésorerie. C’est exactement le contraire que nous voulons faire car il n’est pas question de prendre du retard en matière de recherche et d’innovation. On parle de notre croissance future ! C’est ce que nous faisons par exemple avec le crédit impôt recherche que nous avons sanctuarisé. Il représente une aide aux entreprises de santé de l’ordre de 600 à 700 millions d’euros par an. Le Gouvernement a aussi mis en place des initiatives destinées à favoriser la recherche française. Je pense notamment à l’appel à projets lancé fin mars pour soutenir des projets collaboratifs de recherche et de développement de solutions thérapeutiques contre le Covid-19 : 6 projets ont déjà été sélectionnés, pour un montant total de 78 millions d’euros.
Cette action puissante que nous menons en France doit nécessairement s’articuler avec le niveau européen et je discute beaucoup avec mes homologues pour ce faire. Plus de 10 milliards d’euros ont d’ores et déjà été mobilisés pour la santé dans la nouvelle proposition budgétaire de l’UE, sur le programme dédié « EU4Health » ou sur le renforcement du programme de recherche et d’innovation « Horizon Europe ». Cela montre que la coopération européenne en matière de santé est une réalité et qu’elle est forte. Mais au-delà des financements, nous avons besoin de décisions concertées, de structures et d’outils communs, et d’un écosystème industriel. C’est le projet de Thierry Breton que je soutiens et qui doit permettre de structurer l’ensemble des actions européennes, notamment autour de nouveaux « Projets importants d’intérêt européen commun » dédiés à la santé qui permettront de concrétiser nos ambitions.
« Nous devons avoir une vision stratégique de la chaîne de valeur pour pallier nos faiblesses »
Nextep : Qu’est-il par ailleurs spécifiquement prévu pour limiter les risques de pénuries de médicaments ? Y a-t-il notamment des recommandations du rapport Biot qui devraient être prochainement mises en œuvre ?
Agnès Pannier-Runacher : Le rapport Biot a été publié à la mi-juin. Il nous a éclairés sur la question de la résilience de nos chaînes d’approvisionnement, qui était une priorité du Président de la République avant même la crise sanitaire. Nous devons avoir une vision stratégique de la chaîne de valeur pour pallier nos faiblesses : c’est l’objectif des initiatives pour relocaliser la production de principe actifs ou de vaccins sur notre territoire. L’annonce d’un investissement de 600 millions d’euros dans un site de production de vaccins par Sanofi est une première application concrète.
Nous souhaitons maintenant mobiliser toute la filière pour investir en France. Tout n’a pas vocation à être relocalisé en France mais nous devons diversifier et rapprocher nos sources d’approvisionnement pour éviter tout blocage pour la fourniture de certains éléments de base en cas de crise. Une telle approche ne fait pas injure au commerce international et nous portons déjà des initiatives concrètes. Nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt le 18 juin 2020, doté de 120 millions d’euros, afin d’identifier les projets d’investissements qui permettront de relocaliser en France la production de médicaments impliqués dans la prise en charge des patients atteints par la Covid-19.
Enfin, nous allons améliorer notre résilience sur le stockage des médicaments, en restant attentif à la soutenabilité de ces mesures pour le système industriel. L’idée est que nous puissions avoir des stocks dynamiques pouvant croître très rapidement en période de crise sanitaire, tout en restant compétitifs en période « normale ».
« Des chantiers importants et je sais que le CEPS sera au rendez-vous »
Nextep : Par rapport aux politiques d’attractivité envisagées, dans quel contexte budgétaire vont-elles s’inscrire ? La contribution aux économiques demandée au secteur, notamment dans le PLFSS, est-elle amenée à évoluer, tant sur les montants que dans les orientations ? Qu’attendez-vous du CEPS et de son nouveau Président, Philippe Bouyoux, à ce sujet ?
Agnès Pannier-Runacher : Sur notre résilience et notre souveraineté, le Président de la République a été très clair : c’est une priorité stratégique, pour les industries de santé comme pour l’ensemble de notre industrie.
Développer cette souveraineté a certes un coût, mais ce coût doit être mis en regard du coût du confinement. En effet, la pandémie de la Covid-19 a conduit à bloquer la quasi-totalité de l’activité du pays. C’était une nécessité sanitaire et nous devions protéger les Français. Mais les conséquences économiques qui en ont résulté sont majeures.
Dans l’urgence, il a fallu amortir le choc puis soutenir les filières les plus menacées. Nous allons maintenant entrer dans le temps de la relance de notre économie. Ce faisant, notre réponse sera étalée dans le temps.
Enfin, concernant le Comité économique des produits de santé (CEPS), il va avoir un rôle majeur à jouer. Son nouveau président devra mettre en œuvre la nouvelle politique dessinée par le Gouvernement, notamment lors de la négociation de l’accord cadre : prise en compte du niveau d’investissement industriel ou de R&D sur notre territoire pour la fixation des prix, stabilité des prix pour les médicaments fabriqués en Europe et singulièrement en France, disposition en faveur de l’exportation, etc. Ce sont des chantiers importants et je sais que le CEPS sera au rendez-vous.
« Permettre à tous nos concitoyens d’accéder à une médecine innovante et personnalisée, voilà notre projet »
Nextep : Le numérique en santé et les solutions thérapeutiques digitales sont annoncées comme de véritables révolutions. Selon vous, la France est-elle bien positionnée dans ces domaines ? Le Gouvernement prévoit-il de soutenir particulièrement les acteurs dans ces domaines ?
Agnès Pannier-Runacher : Nous nous sommes mis en ordre de bataille afin que notre industrie de santé soit à la pointe du numérique. Le CSF des Industries et Technologies de Santé a choisi, et ce n’est pas un hasard, de développer un programme structurant « Intelligence artificielle en Santé ». Les projets issus de ce programme (IA et Cancer, par exemple) seront financés par des aides classiques à la fois par Bpifrance et par le fonds pour l’innovation de rupture que nous avons mis en place. Nous allons ainsi consacrer plus de 30 millions d’euros à l’identification de solutions technologiques que nous pouvons promouvoir dans le domaine de l’IA appliquée au diagnostic médical.
En parallèle, pour soutenir les entreprises en croissance, nous avons mis en place les fonds « MedTech » et « Patient Autonome » opérés par Bpifrance pour accompagner les « Dispositifs Médicaux innovants ».
Enfin, parce que nous croyons fortement que les instituts et les industriels pourraient faire bien davantage grâce à un accès régulé aux données, nous avons aussi décidé de créer un « Health Data Hub » dont l’accès et l’utilisation seront réglementés.
Aller beaucoup plus vite dans la détection des maladies, trouver la solution thérapeutique adéquate, améliorer l’accompagnement des patients par des applications numériques adaptées, soigner et adapter le traitement en fonction de l’évolution de la maladie, voilà les objectifs de ces programmes, et ce n’est qu’un début. Permettre à tous nos concitoyens d’accéder à une médecine innovante et personnalisée, voilà notre projet.
Propos recueillis par Guillaume Sublet