Médecin généticienne et épidémiologiste, actuellement Chargée de mission à l’Institut du Cerveau et de la Moëlle Epinière, Ségolène Aymé est la Fondatrice d’Orphanet, site de référence dédié aux maladies rares et aux médicaments orphelins. Elle a également présidé la Task Force Maladies Rares de la Commission Européenne et le « Topic Advisory Group » pour les maladies rares à l’OMS.
Qu’est-ce qu’une maladie rare ? Existe-t-il une définition commune de cette catégorie de pathologies ?
Les maladies rares désignent les maladies pour lesquelles la taille du marché est jugée insuffisante pour inciter les acteurs pharmaceutiques à développer des traitements dans les conditions de commercialisation habituelles. Il existe une définition commune dans l’Union européenne où les maladies sont considérées comme rares lorsqu’elles touchent moins d’une personne pour 2000. Ce n’est pas le cas à l’échelle internationale : la définition des maladies rares est plus large aux Etats Unis, où elle désigne les pathologies dont la prévalence est inférieure à 1 personne sur 1000, et plus restrictive en Asie, avec une prévalence inférieure à un pour 10 000.
Quel bilan faites-vous de la politique mise en œuvre par la France en matière de prise en charge des maladies rares, et notamment des deux plans d’actions mis en œuvre de 2005 à 2016 ?
La France est reconnue comme l’Etat Européen le plus avancé en matière de prise en charge des maladies rares.
La qualité du système français dans ce domaine doit beaucoup à la politique volontariste qui a été menée depuis les années 1990 par les gouvernements successifs. La prise en charge des maladies rares a été reconnue comme l’un des 100 objectifs du plan santé de 2004 et, parmi ces objectifs, comme l’une des cinq priorités. Cet engagement s’est traduit par le lancement de plans d’actions concrets décisifs pour renforcer la stratégie de prise en charge de ces pathologies en France. Parmi les avancées les plus structurantes on peut citer : le développement de 131 centres de références régionaux et d’établissements spécialisés, qui ont permis la constitution – fondamentale – d’une véritable « filière maladies rares » ; la mise en place du site Orphanet qui a favorisé la sensibilisation et la diffusion d’informations à destination du grand public et des professionnels de santé ; le renforcement de la formation médicale sur les maladies rares ; l’amélioration de la coordination entre les différents services ministériels concernés.
L’intense mobilisation de la société civile française, relativement sensibilisée à cet enjeu comparativement aux autres Etats européens grâce au Téléthon, contribue significativement à ce dynamisme politique. Les différents acteurs impliqués – les associations de patients, la communauté scientifique, les acteurs industriels – se sont rapidement structurés pour porter collectivement cet enjeu dans le débat public
Des défis demeurent néanmoins. D’une part, le passage des molécules de la phase préclinique au développement clinique reste difficile. D’autre part, on s’attend à une augmentation importante des thérapies innovantes dans cette aire d’expertise. On estime que celles-ci représenteront 40% du total des innovations thérapeutiques d’ici dix ans, contre 25% aujourd’hui, ce qui soulève la question de leur financement car les prix seront nécessairement élevés.
La politique française en matière de maladies rares reste néanmoins exemplaire. En France, elle a constitué une source d’inspiration pour l’élaboration de stratégies de prises en charge dans d’autres pathologies, et notamment les maladies chroniques. En Europe, elle a servi de référence à l’élaboration de la politique européenne en matière de maladies rares et aux autres pays pour leur plan national.
La Ministre de la santé a annoncé la préparation du 3e plan maladie rare : quel est l’état des réflexions aujourd’hui et quelles sont les prochaines étapes ?
Le 3e plan a pour objectif de parachever les actions engagées dans le cadre du 2ème Plan, en consolidant les atouts du système français en matière de soins et de prise en charge des patients français et en cherchant à répondre aux besoins identifiés. Quatre groupes de travail, co-pilotés par les Professeurs Sylvie Odent et Yves Lévy, ont été mis en place pour réfléchir aux propositions du futur plan. Celles -ci sont structurées autour de plusieurs axes dont : i) améliorer la précocité et la précision du diagnostic pour une prise en charge plus précoce et mieux adaptée; ii) renforcer la prise en charge dans les structures médico-sociales – type MDPH – à travers un meilleur accompagnement de ces patients dans ces structures, la coordination des parcours de soins et la sensibilisation du personnel et de l’ensemble des patients accueillis; iii) améliorer l’état des connaissances, en organisant la montée des informations/données sur les maladies rares, pour mieux identifier les besoins dans ces pathologies ; iv) renforcer la coopération européenne, en s’appuyant sur les centres européens de référence.
Les groupes de travail ont finalisé leur copie le 15 mars dernier. Les propositions issues de leurs réflexions seront présentées à l’occasion d’une réunion en mai. Le plan finalisé sera remis au gouvernement dès que celui-ci sera constitué.
Estimez-vous que l’Union Européenne a pu développer une véritable stratégie de prise en charge des maladies rares ? Est-il possible d’aller plus loin ?
L’UE a réussi à mettre en place une véritable politique européenne de prise en charge des maladies rares. Reconnues « défi de santé pour l’Europe », les maladies rares ont fait l’objet d’une stratégie européenne s’appuyant sur des recommandations d’actions. Cette stratégie a débouché sur des avancées concrètes comme la création d’une vingtaine de réseaux européens de référence entre centres experts, l’harmonisation et le partage des données sur les maladies rares, le renforcement de la coopération transfrontalière en matière de R&D, etc. Aujourd’hui, aucune autre pathologie ne bénéficie d’un tel niveau de coordination à l’échelle européenne. A ce titre, la stratégie mise en œuvre par l’Union européenne constitue un exemple.
A mon sens, l’Europe est allée au bout de ce qu’il était possible de faire à cette échelle. Sur certains aspects, la politique de santé relève de la compétence des Etats membres et doit être approuvée à l’unanimité à l’échelle européenne, ce qui en complique la mise en œuvre. De plus, les différences entre les divers systèmes nationaux sont extrêmement fortes et ne permettent pas d’envisager une harmonisation plus aboutie.