Nextep : Madame la Présidente, pouvez-vous nous présenter la Commission, ses spécificités et ses attributions ?
Sabine THILLAYE : Je suis ravie d’avoir l’occasion de mettre en lumière notre commission, qui est assez peu connue malgré son rôle transversal et le fait qu’elle soit la seule reconnue explicitement et prévue obligatoirement par la Constitution.
C’est également une commission que l’on retrouve dans quasiment tous les Etats membres de l’Union européenne, à l’exception de Malte, Chypre et Luxembourg pour lesquels les sujets européens sont portés par la Commission des Affaires étrangères. Nous nous réunissons d’ailleurs toutes ensemble à minima quatre fois dans l’année, dont deux fois dans le pays qui exerce la Présidence du Conseil de l’UE, dans le cadre de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union (COSAC). Ce sont des structures peu connues mais qui permettent de réunir les parlementaires de toute l’Europe et qui mériteraient de s’affirmer davantage.
« Nous sommes la vigie sur les questions européennes »
À l’Assemblée nationale, notre commission exerce le rôle de vigie sur les questions européennes et nous couvrons tout le spectre des politiques européennes. Les 48 membres de notre commission sont par ailleurs les seuls à faire également partie d’une autre commission permanente.
Ainsi, sur les sujets européens liés à la santé, ce sont souvent les députés qui sont par ailleurs membres de la Commission des affaires sociales qui vont œuvrer. Et, au fur et à mesure de leur mandat, nos députés peuvent décider de s’investir sur des thématiques spécifiques de leur choix et se spécialisent ainsi. Nous sommes bien entendu aidés, comme les autres commissions, par une dizaine d’administrateurs, qui ont eux aussi leurs domaines de spécialisation.
Nous nous exprimons également sur la subsidiarité des textes européens, notamment pour s’assurer qu’ils respectent sur la compétence des Etats-membres.
Nextep : Sur la culture européenne, la France apparait souvent un peu en retrait par rapport à d’autres Etats, notamment les membres fondateurs. Selon vous, est-ce davantage lié à la population ou à l’impulsion politique ?
Sabine THILLAYE : Nous ne sommes pas nécessairement en retrait sur les sujets européens mais il est vrai que le cadre institutionnel est différent. L’exemple de la Finlande est assez évocateur : leur Commission des Affaires européennes s’appelle la Grande Commission et c’est la plus importante du Parlement. Elle mandate le Premier ministre sur les positions qu’il doit défendre au Conseil européen. C’est sensiblement la même chose en Autriche et au Danemark. Nous en sommes assez loin pour notre part. D’une certaine manière, les électeurs de ces Etats membres ont plus d’influence sur la politique européenne via leur Gouvernement et donc les élections, ce qui peut leur donner davantage de sensibilité aux problématiques européennes, plus visibles.
Pour autant, nous auditionnons régulièrement le ministre chargé des affaires européennes, Clément Beaune actuellement, ainsi que les ministres chargés des sujets sur lesquels nous travaillons. On entend souvent que l’Europe n’est pas démocratique, mais nos députés européens sont élus, le Président de la République qui prend la présidence du Conseil de l’Union est élu et, ici, à la Commission des Affaires européennes, nous sommes des députés élus pour contrôler les propositions communautaires.
« Les parlementaires nationaux ont un rôle à jouer pour faire le lien avec l’échelon européen »
Cependant, depuis que je suis à la tête de cette Commission, je suis toujours plus convaincue que les parlementaires nationaux pourraient davantage jouer le rôle de chaînon manquant s’agissant de l’information sur l’Europe et de l’intégration européenne. Nous sommes en effet chaque semaine devant nos électeurs et les élus locaux et nous avons cette opportunité de faire le lien entre l’échelon national et l’échelon européen.
C’est important car il y a beaucoup de textes européens qui transitent par les parlements nationaux et surtout qui vont in fine concerner les citoyens. A la Commission des affaires européennes, nous exerçons une fonction de contrôle et d’évaluation des politiques nationales au regard des orientations européennes et inversement. Tous les projets de textes européens arrivent chez nous et nous devons nous prononcer : les acter si nous sommes d’accord ou les réserver si nous identifions un problème, pour ensuite produire éventuellement un rapport d’information ou une résolution européenne, transmis au Gouvernement français et à la Commission européenne, qui est alors censée nous répondre.
Nextep : A quel moment les propositions qui émanent de l’UE arrivent-elles et sont-elles vues par la Commission des Affaires européennes ?
Sabine THILLAYE : Nous sommes consultés sur des projets d’actes émanant de la Commission ou du Conseil, donc très en amont, au stade de la négociation, qui concerne ensuite le Conseil de l’Union et le Parlement européen en tant que colégislateurs. En agissant à ce niveau, nous effectuons notre activité de contrôle auprès de notre Gouvernement. Si nous décidons de réserver un texte, nous faisons alors un rapport ou une résolution européenne attirant l’attention sur les points de vigilance que nous relevons. Nos résolutions sont ensuite transmises à une commission permanente saisie sur le fond. Si elle ne s’en saisit pas, c’est notre avis qui devient l’expression de l’Assemblée nationale. Cela peut alors ralentir pendant quelques semaines les négociations au Conseil, en théorie, car le Gouvernement doit en tenir compte.
Nextep : Intervenez-vous plus tard, notamment au moment des négociations en trilogue ?
Sabine THILLAYE : Nous n’intervenons pas en trilogue car cela signifie que le Conseil et le Parlement ont déjà adopté chacun une position et qu’ils essaient alors de s’accorder. Nous arrivons bien avant, pour peser sur la proposition de la Commission ou sur la décision du Conseil, à travers notre Gouvernement. Si la décision du Conseil nous convient, nous l’actons.
Nous pouvons également nous saisir d’autres sujets, mais uniquement pour porter des observations. En ce qui concerne l’Europe de la santé, nous avons fait un rapport sur la coordination par l’UE des mesures nationales de gestion de la crise sanitaire. Nous avons particulièrement insisté pour pérenniser les mesures ad-hoc qui ont bien fonctionné pendant la crise, notamment s’agissant du mandat des agences sanitaires et d’une meilleure communication. Nous avons également produit un rapport sur la question de la relocalisation de la fabrication des médicaments et des principes actifs pharmaceutiques en Europe.
Est-ce que la réponse européenne était à la hauteur des enjeux ? Le problème, c’est que la santé n’est pas une compétence de l’Union européenne. Mais la pandémie nous a montré qu’il faut aller dans le sens d’une plus grande européanisation.
« On ne peut pas voir les choses de façon isolée, écosystème par écosystème »
Et, vu l’interdépendance des thèmes, nous ne pouvons pas regarder les sujets en silo. Par exemple, quand on parle de production de médicaments, on aborde la réindustrialisation dans un sens large. On ne peut donc pas voir les choses de façon isolée, écosystème par écosystème.
Nextep : Concernant justement vos travaux sur la localisation de la production, notamment de produits de santé, sont-ils liés à une impulsion des instances communautaires ou en avez-vous pris l’initiative ? Y a-t-il eu une articulation par la suite avec ceux du Haut-Commissariat au Plan et de la Cour des Comptes ?
Sabine THILLAYE : C’est la Commission des Affaires européennes qui a pris l’initiative de travailler sur le thème de la relocalisation, tout comme s’agissant de la politique de la concurrence ou de la politique commerciale qui sont des sujets d’importance en matière de santé.
Nous avons commencé par le renforcement de la protection du consommateur mais, aujourd’hui, nous intégrons également celle des entreprises et de l’emploi car tout est lié. C’est un changement de logiciel que l’on retrouve au niveau de la Commission et qui influe naturellement sur le périmètre et la façon d’aborder l’Europe de la santé.
Par contre, nous n’avons pas été consultés dans le cadre des rapports qui sont sortis depuis sur le sujet, qui mettent cependant tous en avant, eux aussi, l’importance d’une coordination au niveau européen.
Nextep : Plusieurs textes concernant la santé ou les produits de santé sont à l’ordre du jour européen ; avez-vous déjà une idée du calendrier, notamment s’agissant des révisions des directives SoHO ou de la législation pharmaceutique ?
« Nous n’avons pas d’agenda précis sur les sujets qui sont prévus cette année concernant les produits de santé »
Sabine THILLAYE : Nous sommes en fin de législature et les travaux de l’Assemblée s’arrêtent le 27 février. Cela dit, la Commission européenne va continuer à nous envoyer des documents de travail, qui seront traités par les administrateurs pendant en attendant la nouvelle législature. Et nous avons la possibilité de nous réunir en cas d’urgence. Mais nous n’avons pas d’agenda précis sur les sujets qui sont effectivement prévus cette année concernant les produits de santé.
Nextep : Comme vous l’évoquiez, la santé n’est pas aujourd’hui une compétence européenne pleine. Est-ce que vous pensez que cela peut changer au vu des circonstances actuelles ?
Sabine THILLAYE : Je pense que la pandémie a favorisé cela. Le problème, c’est que cela nécessiterait de faire évoluer les traités, ce qui parait compliqué. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’au départ, dans le traité de Rome, il n’y avait pas de compétences établies en matière de santé. Celles-ci sont plutôt venues au fur et à mesure pour finalement être inscrites dans le traité de Lisbonne. Les Etats membres ont sans doute été fébriles à l’idée de réduire leur champ de compétences.
« L’Europe de la santé a grandi à chaque fois par l’arrivée d’une épidémie ou d’une crise sanitaire »
L’Europe de la santé s’est développée à chaque fois à la suite d’une épidémie ou d’une crise sanitaire. Cela a commencé après l’affaire du sang contaminé, à la faveur du traité de Maastricht, puis après l’épidémie de SRAS de 2003 et le traité de Lisbonne. Aujourd’hui, nous connaissons une nouvelle pandémie et on peut penser qu’il y aura de nouvelles avancées en lien avec celle-ci.
La santé est par ailleurs un des sujets de la conférence sur l’avenir de l’Europe. Beaucoup de citoyens ont vu qu’il y avait une certaine logique à ce que ces sujets soient portés en commun. Il ne faut pas oublier que, quelque part, le vaccin contre la COVID-19 a été découvert en Europe. Cela veut dire que nous avons toujours les capacités d’innovation et il serait dommage qu’en parallèle nous n’arrivions pas à développer les capacités de production nécessaires pour en garantir l’accès.
Nextep : La Présidence française de l’Union européenne (PFUE) a mis en avant le sujet de la santé. Pensez-vous qu’elle puisse faire bouger les lignes ?
Sabine THILLAYE : Il faut toujours faire très attention en disant que la France a la Présidence de l’Europe. La France a la présidence du Conseil de l’Union c’est-à-dire du colégislateur avec le Parlement européen. Le Président français ne préside même pas le Conseil européen, ce rôle étant dévolu à Charles Michel, nommé pour deux ans et demi.
Par ailleurs, il faut bien souligner que nous sommes tenus de suivre les recommandations des présidences précédentes. Pour paraphraser mon collègue Jean-Louis Bourlanges, qui préside la Commission des Affaires étrangères, nous accouchons des bébés que nous n’avons pas conçus.
« Il est évident que tout ne pourra pas être réglé ni même abordé en six mois »
Nous avons aujourd’hui sur la table environ 250 propositions législatives à l’échelle européenne. Il est évident que tout ne pourra pas être réglé ni même abordé en six mois. La Présidence du Conseil de l’Union doit donc jouer un rôle de médiateur et faire en sorte que certains projets aboutissent. Elle va donc choisir les sujets qu’elle souhaite pousser en priorité mais cela va également dépendre de la maturité des négociations.
En ce moment, nous avons le sujet de la régulation des services numériques qui arrive à maturité et il est bien parti pour être adopté lors de la Présidence française. La présidence portugaise avait beaucoup poussé l’Europe sociale, par exemple. La Présidence allemande a lancé dans le cadre de l’Europe de la Défense, la « boussole stratégique », et c’est la première fois que les 27 Etats membres ont cherché les menaces communes pour créer un embryon de défense européen. Les conclusions de cette initiative vont être présentées sous présidence française, fin mars 2022.On peut pousser des sujets mais nous ne sommes pas complètement libres de choisir la politique de l’Union.
Pour la santé, c’est la même chose, les initiatives commencent sous une présidence et se terminent sous une autre. Sur ce sujet comme sur les autres, nous fonctionnons en trio, ou« troïka », avec la République Tchèque et la Suède. Des avancées bien réelles se poursuivront sous présidence française, précisant par exemple le programme de travail de l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA), la nouvelle agence européenne créée l’an passé qui permettra la liaison entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée et de meilleures réactions dans les situations d’urgence.
Nextep : Est-ce que les travaux des agences sanitaires, notamment l’établissement d’une liste de produits de santé particulièrement stratégiques, sont un des enjeux de la PFUE ?
Sabine THILLAYE : Nous n’avons pas travaillé sur ce sujet en particulier au sein de la Commission des affaires européennes. En revanche, la résolution adoptée en juillet dernier, au stade de la création de l’HERA, a salué l’impulsion politique qui était nécessaire.
« Il faut désormais déterminer les sujets à pousser en priorité pour donner l’élan nécessaire à l’Europe de la santé »
La Présidence française n’a peut-être pas un rôle particulièrement visible à jouer pour l’Europe de la santé car nous n’en sommes qu’au tout début. Des structures vont être mises en place et il faut désormais déterminer les sujets à pousser en priorité pour donner l’élan nécessaire à cette construction. C’est là-dessus que l’on peut attendre la PFUE.
Propos recueillis par Guillaume Sublet et Thibault Colin