Comment définissez-vous l’« intelligence artificielle » (IA) et quelles en sont les applications dans le domaine de la santé ?
B.R. : « L’intelligence artificielle (IA) est un programme de recherche pluridisciplinaire (mathématiques, informatique, sciences cognitives, etc.) qui ne peut se réduire à un seul domaine. Pour forcer le trait, c’est la science de faire des machines qui reproduisent des tâches qui seraient considérées comme intelligentes si elles étaient faites par les humains
Dans le domaine de la santé, il existe des applications déjà bien définies. A partir de différents types de données (symptômes, résultats d’analyses, imageries médicales, etc.), l’intelligence artificielle permettrait par exemple d’aider les médecins à établir un diagnostic ou une stratégie thérapeutique personnalisée pour le patient. D’autres applications restent encore à développer, notamment dans le domaine de la pharmacovigilance : l’analyse des données du Système National d’Information Inter-Régimes de l’Assurance Maladie (SNIIRAM) via l’IA, permettrait d’identifier des corrélations entre certains actes médicaux et leurs répercussions, et notamment de mieux prévenir les accidents médicaments.
Il est reconnu que notre système de santé est propice au développement des applications de l’IA, eu égard à la taille critique de ses bases de données (67 millions de français y participent), et à sa centralisation principalement dans le Système National des Données de Santé (SNDS). Le débat s’ouvre plutôt sur la manière de concilier le besoin de données et d’explorations pour produire de l’innovation et des algorithmes d’IA, et la maitrise et le contrôle de l’accès à ces données.
Afin de développer tout ou partie de ces usages, nous recommandons de s’appuyer sur 4 piliers :
i. Tout d’abord sur la création d’une plateforme permettant à l’écosystème – industrie, pouvoirs publics, recherche académique, citoyens, associations – de se structurer autour de l’essor de nouvelles fonctionnalités et de les déployer à destination de leur marché cible (professionnels de santé et citoyens). Il y a urgence à adopter de nouvelles logiques pour réinventer la collaboration public-privé.
ii. Le deuxième pilier repose sur la mise en place de « bacs à sable d’innovation » pour faciliter les démarches d’expérimentations « en condition réelle » par un accès et une utilisation simplifiée de la plateforme. En se fondant sur les retours d’expériences et les données produites en situation par les usagers, ces expérimentations permettent de s’assurer de la pertinence du système et de son adéquation avec les besoins de terrain.
iii. Le développement de l’IA doit par ailleurs s’articuler avec les objectifs de politiques publiques de santé. Il ne s’agit pas de développer de l’IA pour faire de l’IA mais justement d’utiliser cette technologie pour le développement d’usages qui contribuent à améliorer notre système de santé.
iv. Finalement, il apparaît essentiel de mettre en œuvre une politique de la donnée adaptée, avec une véritable gouvernance de la donnée en considérant que l’usage médico-administratif peut être qu’un usage parmi d’autres. L’utilisation croissante de l’IA en santé appelle à une réflexion transverse et prospective sur les usages que l’on souhaite privilégier et à sortir des logiques de silos qui limitent la circulation actuelle des données.»
Quels sont les freins au développement de l’IA en santé ?
B. R. : « Au-delà des difficultés techniques de construction de ces systèmes, l’IA bouscule l’héritage historique des organisations et nécessite de repenser la gouvernance associée à l’IA et notamment la donnée de façon transversale. Les contraintes réglementaires sont également un frein au développement de l’IA, mais c’est une bonne chose car elle nous amène à nous poser les bonnes questions ! Un cadre existe (loi informatique et libertés et le règlement général sur la protection des données) même si certains points, comme les modalités de responsabilité en cas de dysfonctionnement, restent à préciser. Il y a également un grand chantier à mener en termes de confidentialité, de sécurité et de maîtrise des données qu’il faudra assortir d’un cadre éthique conforme à nos valeurs et normes sociales dès la conception de ces technologies numériques. »
Quelles sont les perspectives d’évolution pour le développement de l’IA dans le domaine de la santé ?
B. R. : « Il nous apparait tout d’abord nécessaire de développer les 4 piliers exposés précédemment. Une fois cette démarche mise en œuvre, il conviendra de définir les applications prioritaires et celles dont on veut accroitre le niveau de performance et de fiabilité. Aujourd’hui, l’IA ouvre de formidables opportunités de création de valeur et de développement de nos sociétés et des individus mais il est difficile de mesurer son impact a priori. Un enjeu majeur pour le développement de l’IA est de s’assurer de la performance de tels systèmes et de les certifier, tâche à laquelle la puissance publique doit s’intéresser de près. Si l’on ne sait pas aujourd’hui quelles applications de l’IA sont les plus prometteuses ou prioritaires vis-à-vis de cet objectif de fiabilité, il convient de déterminer la trajectoire de l’intelligence artificielle de demain. »