Nextep : Quelles sont les grandes orientations de la mission médicament dont vous avez été co-rapporteure ?
Audrey DUFEU-SCHUBERT : Il s’agissait d’une mission très transversale et nous avons souhaité traiter l’ensemble de la chaine du médicament. Cela dit, nous avons choisi de nous focaliser sur trois grands axes : gouvernance et souveraineté, lutte contre les pénuries, recherche et innovation ; l’idée étant de faire retrouver à la France ses couleurs dans ce domaine.
90 personnes ont été auditionnées dans ce cadre et les orientations que nous en avons retirées se révèlent au final assez variées.
Nextep : Y a-t-il des mesures qui vous semblent particulièrement importantes et/ou qui devraient être prises très rapidement, par exemple dans le cadre du CSIS qui se tiendra le 29 juin ou dans le prochain PLFSS ?
Audrey DUFEU : A l’instar de la pyramide de Maslow, il faut partir des fondamentaux.
Ainsi, notre recommandation principale est de se doter d’un chef de fille et d’un donneur d’ordre, à travers la création d’un Haut-commissaire aux produits de santé. En effet, aujourd’hui, non seulement la politique du médicament n’a pas de capitaine mais elle a trois capitaines adjoints, que sont les ministères de la Santé, de la Recherche et des Finances, chacun avec des visions et des objectifs différents. Or, en bout de chaîne, ce sont les patients qui en pâtissent, sans compter qu’il est difficile pour les professionnels et acteurs de santé de s‘y retrouver. A ce titre, la gouvernance du médicament doit être simplifiée et unifiée.
« En bout de chaîne, ce sont les patients qui en pâtissent »
Il faut ensuite s’attaquer à la lutte contre les pénuries et assurer notamment la sécurité d’approvisionnement des MITM (médicaments d’intérêt thérapeutique majeur). De ce point de vue, il est essentiel de développer une coordination publique, de renforcer le pouvoir de contrôle de l’ANSM et de réaliser une évaluation de tous les instants s’agissant des disponibilités. Nous pourrions nous inspirer de l’initiative Civica Rx aux Etats-Unis, un partenariat entre hôpitaux permettant d’assurer la disponibilité de certains produits, dans certains cas même de manière non lucrative. Nous ne croyons pas à la création d’un grand pôle public du médicament ; mais pas plus au tout lucratif avec des objectifs qui ne sont pas toujours compatibles avec les besoins de la population, surtout pour des molécules anciennes. Il faut donc trouver un juste milieu.
Nextep : Y a-t-il d’autres problématiques sur lesquelles il vous semble importantes de se pencher ?
Audrey DUFEU-SCHUBERT : Les délais sont très longs en France pour l’accès aux médicaments. Nous pensons que la simplification de la gouvernance peut les accélérer et qu’il faut également promouvoir les essais cliniques sur notre territoire afin de garantir un accès rapide aux patients français. Sur ce point, il paraît important d’améliorer le fonctionnement des CPP (Comités de Protection des Personnes, chargés avec l’ANSM de délivrer les autorisations d’essais), d’augmenter le soutien public et renforcer la coopération entre les acteurs.
Il existe également un enjeu s’agissant de la confusion actuelle des notions de liens et de conflits d’intérêts. Ainsi, les contraintes de recrutement ou encore les délais de validation par l’Ordre des médecins rendent difficiles les interventions d’experts français, y compris au niveau international. L’ANSM et l’EMA ont ainsi alerté sur le fait que les Français ne participaient tout simplement plus à certaines discussions et que la France pouvait ainsi être écartée de différents projets, notamment de recherche clinique.
Nextep : Plusieurs exemples américains sont mis en avant. Aviez-vous décidé de vous y pencher dès le début ou cela a-t-il émergé au fur et à mesure ?
Audrey DUFEU-SCHUBERT : Ce sont notamment les chercheurs et académiques qui ont fait état, à plusieurs reprises au cours des auditions, d’une inspiration à prendre des Etats-Unis. Nous avons également eu l’occasion d’interroger l’OMS et l’EMA, qui l’ont évoqué assez facilement. Il a d’ailleurs été intéressant de constater que l’on a souvent des idées préconçues au sujet des Etats-Unis, notamment sur le fait qu’ils seraient très libéraux alors que la puissance publique est finalement assez présente et moteur. Cela doit nous faire prendre conscience, au niveau européen, du besoin d’unir nos forces.
Nextep : Justement, est-ce que la Présidence française de l’UE pourrait jouer un rôle ?
Audrey DUFEU-SCHUBERT : La Présidence française de l’UE devrait constituer une opportunité de travailler sur les sujets que nous avons abordés. A mon sens, il serait particulièrement utile, au niveau de l’Europe, de se mettre d’accord sur une liste de médicaments essentiels et de monter une coordination pour en assurer la production, à partir d’une cartographie des moyens existants et à développer. En tout cas, la France ne pourra pas s’en occuper seule et il serait illusoire de miser sur une relocalisation totale.
« On pourrait questionner sur l’opportunité d’une fixation européenne des prix »
Par ailleurs, si des initiatives ont déjà commencé à se mettre en place, comme la nouvelle Agence HERA, il faut rappeler qu’elle se concentrera sur un cadre d’urgence sanitaire. Or, il est possible et même important d’aller au-delà. Ainsi, même si cela semble très lointain, on pourrait questionner sur l’opportunité d’une fixation européenne des prix.
Nextep : Y a-t-il eu des avancées concernant le rapport sur la bioproduction académique prévu par un amendement que vous aviez porté lors du dernier PLFSS et qui doit être rendu d’ici le 1er septembre ?
Audrey DUFEU-SCHUBERT : C’est cette idée que je portais depuis plusieurs années qui a suscité la ferme conviction qu’il fallait travailler sur la souveraineté sanitaire. Et, en effet, un rapport gouvernemental a été voté lors de la LFSS 2021 mais on ne sait pas à ce stade s’il verra le jour.
Pourtant, il existe déjà des initiatives en matière de bioproduction académique, en Europe et en Australie, notamment sur les CAR-T. Au-delà de la question du coût, cela peut apporter des solutions alors que, parfois, les industriels ont des indications très drastiques qui ferment la porte à certaines niches thérapeutiques et patients. Il ne s’agit pas pour autant de faire de la concurrence ou d’évincer les CAR-T industrielles, dont on aura besoin, mais plutôt de disposer d’outils complémentaires sur certains segments. En tout état de cause, la production académique n’a pas vocation à devenir de la production publique et à se substituer à la production industrielle.
Dans la même veine, nous avons eu une interrogation sur les produits sanguins, notamment sur la façon d’optimiser les plateformes du LFB et redonner une souveraineté sanitaire à la France dans ce domaine, via par exemple un rapprochement avec l’EFS. Au final, nous avons demandé que ce sujet fasse l’objet d’une mission IGAS.
Nextep : Est-ce que la remise du rapport a été avancée afin qu’il puisse être pris en compte pour le CSIS ?
Audrey DUFEU-SCHUBERT : Tout à fait. En tant que parlementaires, nous avons souhaité afficher notre volonté d’être audibles et contributifs dans le cadre du CSIS. Vu la prise de conscience généralisée de l’urgence à agir, nous espérons que certaines dispositions pourront déjà être reprises. Mais nous prévoyons surtout de réaliser un travail au niveau du groupe pour avoir davantage de poids, notamment lors du prochain PLFSS. Nous devrions ainsi être force de proposition sur la fixation des prix, le CEPS…
Propos recueillis par Guillaume Sublet