« Il faut que l’ensemble de notre politique de santé en matière de tarification et de financement puisse traduire les objectifs de souveraineté et d’innovation»
Nextep : Alors que l’Agence vient à peine de prendre forme, sur quels sujets avez-vous commencé à travailler en priorité ?
Lise Alter : Effectivement, j’ai pris mes fonctions seulement en décembre ; ma priorité est donc de constituer l’équipe. Nous avons une dizaine de recrutements en cours pour concrétiser les différentes missions de l’Agence mais nous avons déjà l’équipe santé du Secrétariat général à l’investissement qui nous a rejoint et devrions pouvoir rapidement être une quinzaine.
En premier lieu, le pôle prospectif doit permettre d’assurer une veille et la structuration de cet axe fort d’anticiper l’arrivée des innovations et les impacts organisationnels, à prendre en compte pour le financement du système de santé. Nous pourrons aussi déterminer des grandes priorités interministérielles en termes de recherche sur la base des besoins médicaux non-couverts ou insuffisamment couverts identifiés. Pour nourrir cet axe prospectif, il est prévu de constituer un comité d’orientation qui sera prochainement mis en place.
Nextep : S’agissant de ce comité d’orientation avez-vous déjà une idée des profils que vous voudriez intégrer ? Par exemple est ce qu’il y aura des patients ?
Lise Alter : Tout cela est encore à valider dans un cadre interministériel mais il y aura les EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique), les organismes de recherche, les agences sanitaires, les administrations centrales des ministères, des représentants d’industriels, de patients, des académiques, des acteurs de santé… En résumé, un panel très large pour pouvoir représenter l’ensemble de l’écosystème de l’innovation en santé.
Nextep : Outre la dimension prospective…
Lise Alter : Le pôle accélération des procédures réglementaires et administratives aura vocation à traiter l’ensemble des points bloquants pour permettre un développement plus rapide des innovations et une accélération de l’accès pour les patients.
Enfin, en articulation étroite, il y a l’axe d’accompagnement personnalisé des projets stratégiques prioritaires : négociation de fast-tracks avec les partenaires et mise à disposition de dispositifs financiers ou extra financiers à destination des porteurs des projets, de manière personnalisée.
Outre la structuration des équipes, la deuxième priorité est de mettre en place le processus de sourcing des projets et d’accompagnement, en cours de construction avec l’ensemble des ministères, et des futurs partenaires en région, pour qu’il puisse répondre à une logique partenariale.
Un autre sujet important, qui est dans ma lettre de mission et déjà entamé, est l’accélération de la recherche clinique. Beaucoup d’actions ont déjà été menées par les ministères, sous l’impulsion des travaux du CSIS notamment, mais il faut aller encore plus loin dans l’accélération des délais réglementaires, concernant notamment les autorisations CPP/ANSM pour les essais cliniques et le marquage CE avec les organismes notifiés… Il y a également une grosse attente sur les nouvelles méthodologies de recherche clinique ainsi que sur la digitalisation et la décentralisation de la recherche. Comme pour l’axe prospectif, l’objectif est d’avoir une démarche partenariale en s’appuyant sur les dispositifs existants/institutions partenaires dès le départ.
Nous avons par ailleurs prévu de faire un Tour de France de l’innovation en santé pour identifier nos partenaires au niveau territorial et avoir une bonne cartographie de l’innovation en santé et une bonne connaissance de l’écosystème régional en identifiant également nos relais en régions.
La feuille de route est donc ambitieuse. En outre, la lettre de mission de l’AIS prévoit un certain nombre de projets à mener sur le temps long, , notamment la contribution de l’innovation à la mise en œuvre d’un politique de prévention.
Enfin, l’AIS devra peser au niveau européen et international, que ce soit pour porter la voix de la France sur le plan des délais réglementaires (EMA) et l’évaluation des produits de santé (HTA) ou pour travailler en lien avec HERA à l’anticipation des crises sanitaires.
« Il y a la volonté d’être opérationnels le plus vite possible »
Nextep : A quel horizon envisagez-vous d’atteindre un rythme de croisière ?
Lise Alter : Je souhaite stabiliser un process au cours du premier semestre 2023, lancer un tour de France de l’innovation en santé et avoir une feuille de route stabilisée. Nous avons la volonté d’être opérationnels le plus vite possible même si notre capacité à accompagner les entreprises et à passer à l’échelle dépendra aussi, des renforts que nous pourrons obtenir. D’une certaine façon, l’Agence fait figure de start-up, mais dans l’administration. Dès lors que l’équipe initiale sera au complet, j’espère que nous pourrons accompagner une centaine de projets par an. En parallèle, l’idée est de pouvoir réaliser une cartographie des guichets existants et de mettre en place une plateforme pour permettre à ensemble de l’écosystème de se repérer dans des dispositifs qui sont vraiment nombreux et pas toujours faciles à identifier pour les entrepreneurs. Mais l’ambition est à terme de devenir un guichet unique pour tous les projets et cela passera nécessairement par un renforcement de l’équipe.
« L’Agence fait figure de start-up, mais dans l’administration »
Nextep : Que pensez-vous de la mission lancée par la Première Ministre sur la régulation et le financement du médicament ? En quoi l’AIS va-t-elle être concernée ?
Lise Alter : Le fait même que cette mission existe est un acte fort car la France est parmi les seuls pays en Europe à le faire, avec la volonté d’avancer collectivement pour trouver des solutions. Les personnalités qualifiées rassemblées dans cette mission montrent en outre qu’il y a une recherche de représentativité ainsi que d’écoute de l’ensemble des acteurs et de toutes les contributions.
L’Agence est identifiée dans la lettre de mission donc je vais être auditionnée par les inspecteurs et les personnalités qualifiées. Cette initiative est une bonne chose et c’était d’ailleurs une demande forte des industriels. Nous vivons une période critique, pas seulement pour la France mais aussi pour les autres pays, notamment européens, avec un enjeu d’accès à l’innovation et de sécurisation de nos approvisionnements. C’est d’ailleurs l’objectif même du plan France 2030 : faire de la France une des nations les plus innovantes et souveraines en Europe. Il faut que l’ensemble de notre politique de santé, y compris en matière de tarification et de financement, puisse traduire ces objectifs.
« C’est un objectif prioritaire de l’Agence que les patients aient un accès rapide et équitable aux innovations en France. »
Nextep : L’Agence va-t-elle avoir un rôle à jouer sur les problématiques en aval d’accès aux innovations thérapeutiques ?
Lise Alter : Bien sûr, c’est même un objectif prioritaire de l’Agence que les patients aient un accès rapide et équitable aux innovations en France. Accélérer l’accès à l’innovation est véritablement au cœur de la mission de l’Agence. Et nous voulons agir tout au long de la chaine de valeurs : de la recherche, avec naturellement les essais cliniques, jusqu’à l’accès au marché et la fixation du prix. Concernant la tarification, nous n’avons pas de place au CEPS aujourd’hui mais si nous identifions des freins, à n’importe quel endroit de la chaine, nous aurons vocation à intervenir. L’agence ne va pas résoudre l’ensemble des problèmes toute seule mais elle jouera pleinement son rôle de stimulateur et de facilitateur pour faire avancer les choses.
Nextep : Pensez-vous que la France soit en bonne voie pour atteindre l’objectif du Président de la République d’être leader européenne de l’innovation en santé d’ici 2030 ?
Lise Alter : Pendant la crise, certaines vulnérabilités ont été mises à jour, comme la désindustrialisation. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’on a en France de nombreux atouts, à commencer par des dispositifs (un crédit impôt recherche très attractif notamment) et un écosystème en faveur de la recherche qui sont extrêmement attractifs, avec des équipes de chercheurs de grande qualité, des CHU particulièrement renommés, , etc. Mais il y a aussi beaucoup de publications qui ne se traduisent pas toujours par des brevets ou des initiatives entrepreneuriales. Nous avons donc un enjeu à stimuler le transfert de technologie, la création et le développement de start-ups ainsi que le montage des essais cliniques.
« Avec le Plan France 2030, d’énormes moyens financiers ont déjà été mobilisés »
Avec le Plan France 2030, d’énormes moyens financiers ont déjà été mobilisés, dans le cadre de stratégies d’accélération prioritaires qui vont de la recherche à l’accès au marché en passant par le transfert de technologie, l’’industrialisation, la production. En ajoutant l’AIS qui a vocation à venir coordonner, articuler et stimuler l’ensemble de l’écosystème de l’innovation en santé au niveau interministériel, nous disposons des atouts pour réussir. Notre capacité à atteindre les objectifs ambitieux du plan France 2030 va en effet dépendre de la capacité à créer des synergies et à travailler ensemble. On a besoin d’une coordination des acteurs que ce soit académiques, du soin, des industriels ou des start-ups. Dans cette optique, la formation également sera un enjeu majeur car il faut développer une forme d’acculturation à l’innovation, afin que nos soignants puissent aussi devenir de futurs entrepreneurs et que nos ingénieurs soient sensibilisés aux usages en santé.
Nextep : L’AIS a une mission de suivi et d’accompagnement du déploiement du plan innovation santé 2030. Y a-t-il un bilan de ce qui avait été annoncé, fait et ce qui reste à faire ?
Lise Alter : Il est un peu tôt pour dresser un bilan du plan France 2030 car on est début 2023 et le PIS a été lancé fin 2021. Il faut poursuive les efforts mais c’est évidemment en cours et il ne faut pas oublier qu’il y a déjà de beaux projets qui ont été financés, dans le domaine du numérique en santé, de la bioproduction et des maladies infectieuses émergentes. Sans parler du premier biocluster, le PSCC qui vient d’être lancé. Le plan a un horizon 2030 parce que l’on a conscience que tout ne peut pas être résolu en une année et qu’il faut vraiment déployer des efforts et des investissements sur la durée pour pouvoir répondre aux objectifs fixés pour la France. Il est clair que créer une filière de bioproduction de médicaments ne se fait pas du jour au lendemain. Cela dit, tout est communiqué au fur et à mesure et transparent, par exemple s’agissant des lauréats des différents appels à projets et des montants qui sont alloués.
« Si la mission (financement) constate que l’on a un retard par rapport aux autres pays d’Europe, il faudra en tirer les conséquences »
Nextep : Selon vous, est-ce que le médicament et l’innovation en santé sont aujourd’hui correctement financés en France
Lise Alter : Je pense que la mission sur le financement et la régulation va avoir à faire ce bilan. Il est plus que jamais nécessaire de prendre du recul et se projeter vers des solutions.
Il faut également rappeler les investissements conséquents qui ont été décidés par le gouvernement en matière d’innovation en santé : au-delà des 7,5 milliards d’euros accordés dans le cadre du plan France 2030, un engagement de 2,4% de progression des dépenses de produits de santé a aussi été acté lors du lancement du plan France 2030.
Je ne dis pas que la situation d’aujourd’hui est satisfaisante mais tout ce qui est possible est aujourd’hui mis en œuvre pour l’améliorer et pour envisager des évolutions : si la mission constate que l’on a du retard par rapport aux autres pays d’Europe, il faudra en tirer les conséquences et envisager des évolutions de notre modèle. Les équilibres sont néanmoins complexes et c’est d’ailleurs pour cela que l’on veut mettre en place un pôle prospective à l’agence, afin d’anticiper davantage les innovations à venir et leurs impacts organisationnels et financiers.
Propos recueillis par Guillaume Sublet, le 2 février 2023